NOS ÉTUDIANTS EN MODE COVID-19

Les scientifiques qui brilleront demain au firmament de la recherche mondiale sont parmi nos étudiantes et nos étudiants d’aujourd’hui. Bouleversée par une pandémie aux contours insidieux, leur période de formation s’est vue transformée. Comment la pandémie a-t-elle modifié leur projet de recherche, leur pratique, leur apprentissage et, ce faisant, les a révélés? Témoignages solaires de quatre jeunes chercheuses et chercheurs de notre relève.

Comme un « roller coaster »

Depuis son appartement inondé de lumière, Stephanie Coronado-Montoya a la voix chantante de celles qui ont pris le dessus sur la mélancolie pandémique. À force de détermination et de discipline. Une tâche ardue, selon cette étudiante au doctorat depuis janvier 2019 dans le laboratoire du Dr Didier Jutras-Aswad (axe Neurosciences)

Pour cette jeune femme, enceinte de son premier enfant en avril 2020, la crise sanitaire l’a forcée à jongler avec le stress et les émotions liés à sa grossesse et à la COVID‑19 tout en affutant ses capacités d’adaptation.

Pour contrer l’isolement — sa famille vit à Miami — et la fatigue, la routine est apparue comme un sésame vers un retour à la normalité. « Travailler de chez moi comme je le faisais avant au Centre de recherche, m’autodiscipliner en me fixant des objectifs et des échéances m’a permis de rester motivée », dit-elle.

Même si, dans l’ensemble, ses études ont connu un ralentissement, un de ses projets a pu être déployé au niveau national. Cette enquête en ligne s’intéresse à une intervention de réduction des risques chez les jeunes adultes atteints de psychose qui consomment du cannabis. Une population difficile à rejoindre en temps normal, mais qui grâce à une application sur téléphone intelligent a pu bénéficier de l’intervention développée par Stephanie et ses collègues.

« Avec la pandémie, le nombre de conférences et de webinaires accessibles en ligne a explosé. Comme j’avais plus de temps à y consacrer, j’ai pu en apprendre davantage dans mon champ d’expertise et sur des sujets connexes. C’est une excellente chose et je vais l’intégrer dans mon emploi du temps post-pandémie! »

La crise sanitaire lui a rappelé l’importance de valoriser la science, de bien la saisir et de pouvoir informer son entourage avec des données fiables. Toujours.

Selon elle, l’avenir s’annonce radieux. « Pouvoir regarder un être humain les yeux dans les yeux plutôt qu’au travers d’un écran d’ordinateur serait un bon début! »

Stephanie Coronado-Montoya

Stephanie Coronado-Montoya

De l’espoir, de l’espoir

Dans le laboratoire de Marie-Claude Bourgeois-Daigneault (axe Cancer), Karen Geoffroy fait presque figure d’ancienne. Enfin, tout est relatif. L’étudiante au doctorat y traîne son sarrau depuis septembre 2019, le laboratoire ayant ouvert en juillet 2019. Sur les lèvres de la dynamique chercheuse, un mot : A‑DAP‑TA‑TION.

Si, du jour au lendemain, elle s’est retrouvée en télétravail à 100 %. Elle n’a pas perdu une minute de son temps loin des paillasses. Mise à jour de ses connaissances sur le cancer et les virus oncolytiques — sa spécialité —, traitement des données d’expérimentation récoltées prépandémie et signature d’une revue de littérature publiée avec sa mentore.

« J’en ai aussi profité pour soutenir virtuellement ma thèse de doctorat en pharmacie en France à la fin du mois de mai 2020. Deux jours après, le Centre de recherche réouvrait les portes des labos et nous permettait de reprendre nos projets. Pandémie ou non, notre labo est resté très actif. Le cancer, lui, ne s’arrête pas. »

C’est certain : la mise en pause forcée a impacté l’avancée de son doctorat et le niveau de réseautage lors de congrès, pourtant si capital dans cette phase de sa carrière scientifique. Pourtant, cela ne l’a pas empêchée d’apprécier la rapide mobilisation des équipes de recherche face à la COVID-19, leur solidarité et le partage des connaissances dans un milieu habituellement si compétitif.

Isolée de sa famille en France, elle a pris le temps de se reconnecter avec des personnes à qui elle n’avait pas parlé depuis longtemps. Amis ou parenté. Sans raison particulière. « Après tout, malgré la pandémie, il y a toujours de l’humain derrière tout ça. »

Karen Geoffroy

Karen Geoffroy

Une effervescence rare

Dire que Guillaume Beaudoin-Bussières, doctorant dans l’équipe de Andrés Finzi (axe Immunopathologie), a passé du temps au laboratoire dans la dernière année est un doux euphémisme. Habitué à travailler sur le VIH depuis 2018, il a choisi de réorienter ses recherches vers la COVID‑19. Une transition fiévreuse qu’il a bien vécue.

« Pour un jeune chercheur, ce nouveau contexte scientifique est excitant. Une chance dans la malchance, quelque part. Avec le coronavirus, je vivais en direct la production des connaissances diffusée par la communauté internationale de recherche. Et j’y participais aussi avec mon équipe. Par rapport au VIH, tu ne connais rien de ce nouveau virus. Tu pars de zéro. Tout est à faire », explique-t-il.

Focalisé sur le travail à fournir, il a pris petit à petit plus de responsabilités au laboratoire, plus de pression aussi considérant les enjeux de santé publique, et a écrit des articles scientifiques alors qu’il n’avait jamais fait cela auparavant. « Dans cette pandémie, j’ai réalisé que j’étais capable de faire beaucoup plus que ce que je pensais. Je me suis senti grandir un peu! »

Selon lui, tout a bougé plus vite pendant cette période extraordinaire bien que la rigueur ait toujours été de mise : des délais d’approbation des projets en passant par les processus administratifs. Le partage de connaissances entre équipes s’est aussi fait plus simplement.

Le positif dans tout ça? « J’ai eu beaucoup d’articles publiés sur la COVID‑19 qui ont eu un impact, car ils étaient d’actualité. Je crois aussi que la pandémie a permis de mettre de l’avant notre profession aux yeux du grand public, de rendre visible la recherche fondamentale. Peut-être que cela nous aidera dans la recherche de futurs financements. »

Guillaume Beaudoin-Bussières

Guillaume Beaudoin-Bussières

Le temps de se reconnecter au monde

Deborah Villafranca-Baughman est une optimiste née. D’un sourire, elle semble capable de chasser les nuages pandémiques, aussi gros soient-ils. Doctorante dans le laboratoire de Adriana Di Polo (axe Neurosciences), cette jeune chercheuse, originaire de Barcelone en Espagne, travaille au Centre de recherche du CHUM depuis 2016.

Pour elle, la pandémie a été très révélatrice des inégalités sociales, les a accentuées même. « Pendant la mise en pause du Centre, j’en ai profité pour travailler un mois comme bénévole dans un CHLSD auprès de personnes âgées. J’y ai été témoin d’une belle solidarité entre bénévoles et j’ai trouvé très gratifiant de voir de l’espoir dans les yeux des personnes esseulées dont nous nous occupions », dit-elle.

Si vivre loin de sa famille et ne pas pouvoir physiquement être là pour les accompagner dans le deuil ou la maladie a parfois été difficile, elle a pris le temps comme un remède à la lassitude. Le temps de se retrouver, de lire ce qui se fait dans son domaine d’expertise et… de vivre le moment pour ce qu’il est.

Le temps de se reconnecter au monde aussi. « Chaque midi, je me branchais en ligne avec ma famille pour une heure de “Gym‑finement”. Être dynamique dans ma routine personnelle et professionnelle m’a permis de stimuler ma réflexion, d’être plus efficace dans mon travail, de savoir ce que je veux et de me fixer des objectifs en conséquence. »

Dès la réouverture du Centre de recherche, elle a pu retrouver les chemins des laboratoires et de nouveau baigner dans un domaine de recherche qui la passionne. Avec un mantra en tête : ne rien tenir pour acquis.

Voir jusqu’où elle peut parvenir en recherche en neurosciences, avoir son laboratoire ou son entreprise, continuer ses actions humanitaires : pourquoi pas? « Des opportunités il y en aura, il faut juste être présente au moment où la vie te les donne. »

Deborah Villafranca-Baughman

Deborah Villafranca-Baughman
Le jour de la marmotte

La pandémie a un peu pris l’allure du film éponyme pour Ciaran Murphy-Royal, chercheur régulier de l’axe Cardiométabolique. Arrivé au Centre de recherche en juin 2020 depuis Calgary, c’était inévitable : il devait concentrer une grande partie de ses efforts au démarrage de son laboratoire. Jour après jour, une routine à observer.

Dans cette étape importante, il a pu compter sur l’aide précieuse de son équipe : une étudiante en maîtrise et un doctorant. Deux personnes sur lesquelles il a dû veiller un peu plus que d’habitude étant donné le contexte sanitaire.

« Même s’ils ont été assez isolés de leurs familles en Alberta ou en Suisse, ils s’en sortent plutôt bien. C’est sûr que j’ai été plus attentif à ce qu’ils vivaient et j’ai appris à être plus patient. Pour qu’ils restent motivés pendant cette période incertaine, je suis resté positif et leur ai fixé des objectifs et des échéanciers précis. L’idée derrière tout ça? Mettre en route le labo est un effort collectif et, ensemble, nous allons y arriver », explique-t-il.

De son côté, Ciaran Murphy‑Royal, chercheur indépendant en début de carrière, rappelle qu’il a pu lui-même compter sur le soutien de collègues plus expérimentés comme Thierry Alquier, Stephanie Fulton ou Gareth Lim. Le passage de témoins entre générations de scientifiques opère bien, semble-t-il.

Le chercheur n’a pas hésité non plus à laisser à ses étudiants du temps libre pour réviser leurs examens pendant que lui s’occupait des expérimentations en laboratoire. Une façon de les soutenir moralement dans ces moments délicats.

« Tout l’aspect “fun” de travailler au labo est actuellement réduit au minimum pour nos étudiants : pas de conférences, pas de réseautage, pas de rassemblement à la cafétéria. C’est temporaire alors je ne manque pas de leur rappeler que des temps meilleurs s’en viennent. »

Ciaran Murphy-Royal